Tombeau de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne Marville Jean de Sluter Claus Werve Claus de Malouel Jean

Tombeau de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne

Dimensions

H. 243 cm ; L. 254 cm ; P. 360 cm

Provenance

Dijon, chartreuse de Champmol

Technique

Sculpture, Dorure, Polychromie

Matériaux

Albâtre, Marbre noir

Datation

1384-1410

Lieu de conservation

France, Dijon, musée des Beaux-Arts

À qui appartient ce tombeau richement ouvragé ?
En quoi a-t-il durablement marqué l’art funéraire ?

Philippe II de Bourgogne (1342-1404), dit le Hardi, était le fils du roi de France Jean II le Bon. En 1363, il reçut en apanage le duché de Bourgogne, alors sans titulaire. Par son mariage avec Marguerite III de Flandre, héritière de ce comté et de celui de Bourgogne, il devint l'un des hommes les plus puissants du royaume. Le nouveau duc de Bourgogne fut un important mécène, tout comme ses trois frères, Charles V le Sage, roi de France, Louis, duc d'Anjou, et Jean, duc de Berry. Son tombeau [ image principale ], commandé en 1381 pour la chartreuse de Champmol, renouvela l'art funéraire de la fin du XIVe siècle.

La chartreuse de Champmol

En 1385, Philippe le Hardi fonda la chartreuse de Champmol, à Dijon, donnant ainsi à cette ville la prééminence sur les autres cités de son duché.

Il choisit ce monastère comme lieu de sépulture, demandant à y être enterré en habit de chartreux. Cependant, l'église, de petite taille, n'était peut-être pas destinée à devenir un panthéon familial, même si les successeurs du duc y furent également inhumés. Seuls son fils Jean sans Peur et sa femme Marguerite de Bavière bénéficièrent également d'un tombeau monumental.

Comme toute chartreuse, Champmol possédait un petit et un grand cloître autour duquel étaient disposées les cellules des moines. Peu de choses ont subsisté de ce lieu, transformé en hôpital en 1833. Le tombeau de Philippe le Hardi, démantelé après la Révolution, a été remonté en 1827 au musée des Beaux-Arts de Dijon où il est toujours exposé.

Un tombeau richement orné

En albâtre et marbre rehaussé de polychromie, le tombeau [ détail b ] est en réalité un cénotaphe, car le corps reposait dans un caveau dans le chœur de l'église.

Au niveau inférieur, un socle maçonné repose sur une dalle noire. Il est orné d'un réseau d'arcatures gothiques, dont la disposition crée une galerie. Quarante et un pleurants [ détail c ], sculptés en ronde bosse, s'y déploient. Ces personnages, d'une quarantaine de centimètres de haut, portent de lourds manteaux de deuil à capuche. Leur procession reprend le cérémonial alors en usage à la cour de Bourgogne : elle se compose d'abord d'un aspergeant et de deux enfants de chœur, suivis par un porte-croix, un diacre, un évêque, un chantre et deux moines chartreux. La famille et des gens de la maison ferment le cortège.

Au niveau supérieur est placée une autre dalle noire, sur laquelle une inscription en lettres de cuivre indiquait autrefois le nom et la titulature du duc de Bourgogne.

C'est sur cette dalle que repose le gisant du duc. Il est représenté couronné, vêtu d'un ample manteau et les mains jointes dans un geste de prière. Deux anges, agenouillés près de sa tête, tiennent son casque, tandis qu'un lion, symbole de force, se love à ses pieds.

Les vicissitudes de l'histoire

Les tombeaux des ducs de Bourgogne Philippe le Hardi et Jean sans Peur eurent d'abord à souffrir de leur succès. Des chroniques rapportent en effet que des visiteurs de renom en emportaient des fragments. Les angelots, dont d'anciens textes mentionnent la présence au-dessus des piliers formant les arcatures, ont vraisemblablement disparu ainsi.

Pendant la Révolution, en 1792, les tombeaux furent transférés dans la cathédrale Sainte-Bénigne de Dijon avant d'être démontés et partiellement détruits l'année suivante. Le gisant de Philippe le Hardi disparut alors, à l'exception de ses mains.

En 1799, le muséum de Dijon exposa soixante-dix pleurants provenant des deux tombeaux. Habilement restaurés de 1819 à 1824, les monuments furent installés en 1827 dans la grande salle du logis ducal, devenu l'actuel musée des Beaux-Arts.

Des études récentes ont permis d'identifier les éléments des tombeaux datant du XIXe siècle. Ainsi, pour celui de Philippe le Hardi, un nouveau gisant, sur lequel ont été placées les mains anciennes, a pris place sur la dalle supérieure : un peu plus grand que l'original, il n'est revêtu que d'un long manteau, alors que des dessins anciens nous apprennent qu'il portait également une armure. Les ailes des anges ont également été restituées. Presque tous les pleurants ont réintégré leur place. Seuls sept manquent : quatre d'entre eux appartiennent aux collections du Cleveland Museum of Art, un reste dans une collection privée, et deux n'ont jamais été retrouvés.

Une commande passée à trois sculpteurs

Dès 1381, Philippe le Hardi passe commande d'une « sépulture d'albâtre pour luy à Dijon » à Jean de Marville, qui travaille également pour le roi Charles V. Les comptes de la chartreuse de Champmol fournissent des renseignements sur les travaux qui débutent en 1384 et sur des achats de matériaux liés à la structure du monument.

Claus Sluter, mentionné à Bruxelles puis sur le chantier de Champmol, succède à Marville en 1389, date du décès de ce dernier. Malgré les comptes déjà mentionnés, il est impossible de déterminer qui a conçu la structure générale de l'œuvre (élaborée dès l'origine par Marville et modifiée par Sluter ?), et qui a imaginé les pleurants, même s'ils sont traditionnellement attribués à Sluter. Quoi qu'il en soit, cet artiste reste l'un des plus importants de cette époque. Le puits de Moïse, dont subsistent seulement le buste du Christ [ image 1 ] et l'immense socle orné de prophètes, montre la puissance de son art.

À la mort du duc en 1404, la statuaire du tombeau était encore inachevée. Seuls deux pleurants avaient en effet été sculptés. Claus de Werve, neveu et collaborateur de Sluter, reprit le travail au décès de son oncle en 1406. Très probablement d'après des modèles de Sluter, il réalisa le gisant, les anges, le lion et les autres pleurants. En 1410, le monument, rehaussé par la polychromie et la dorure du peintre Jean Malouel, prit enfin place dans le chœur de l'église.

Une œuvre novatrice

Depuis le XIe siècle, peut-être même dès le Xe, certains tombeaux se composent d'une image en faible relief du défunt allongé, placée sur un soubassement. Ce modèle s'impose à la fin du XIe siècle, rehaussé par une représentation du mort en très haut relief : le gisant. Les socles s'ornent de pleurants en volume à partir du milieu du XIIIe siècle, avec le tombeau de Philippe Dagobert [ image 2 ]. Enfin, le visage idéalisé du défunt sur les premiers gisants s'efface au profit d'un vrai portrait à partir de la seconde moitié du XIVe siècle [ image 3 ].

Le tombeau de Philippe le Hardi reprend cette disposition générale, mais de façon monumentale. L'ensemble mesure en effet plus de 2 mètres de hauteur et apparaît enrichi au regard des tombeaux plus anciens. Le gisant n'est plus encadré par de petits éléments d'architecture, comme il l'était par exemple sur le tombeau de Charles V, mais valorisé par des anges. De plus, le duc semble réellement allongé, et non traité comme une statue verticale comme les gisants l'étaient traditionnellement. Sans qu'il soit possible de l'attribuer avec certitude à Marville ou à Sluter, l'innovation la plus importante réside dans les fameuses figures de pleurants qui se déploient en ronde bosse sous les arcatures. L'alternance des poses, la variété des expressions, la diversité des plis des manteaux et la précision des détails justifient leur renommée.

Au milieu du XVe siècle, le tombeau de Philippe le Hardi servit de modèle à d'autres. À Dijon, celui de Jean sans Peur, commandé en 1443 par son fils Philippe le Bon à Jean de La Huerta et Antoine Le Moiturier, reprend la même disposition, tout comme ceux des ducs de Bourbon, apparentés aux Bourgogne, à Souvigny. Vers 1480, ce modèle, avec un rapport de proportion entre gisant et pleurants, reste toujours la référence lors de la conception du tombeau de Philippe Pot [ image 4 ], grand sénéchal de Bourgogne, exposé aujourd'hui au musée du Louvre.

Nathalie Gathelier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/tombeau-de-philippe-le-hardi-duc-de-bourgogne

Publié le 19/04/2015

Ressources

Lire le dossier « Les tombeaux des ducs de Bourgogne, au cœur de leur palais » sur le site du musée des Beaux-Arts de Dijon

http://mba.dijon.fr/sites/default/files/Collections/pdf/les_tombeaux_des_ducs_de_bourgogne__livret.pdf

Sur la chapelle et les tombeaux des ducs de Bourgogne

http://musees-bourgogne.org/fic_bdd/dossiers_fichier_pdf/dossier_ducs_bourgogne.pdf

Sur le tombeau de Philippe le Hardi

http://dijoon.free.fr/text-hardi.htm

Glossaire

Charles V le Sage : (1338-1380) fils de Jean II le Bon et de Bonne de Luxembourg. En pleine guerre de Cent Ans, sa politique habile lui valut le surnom de « Sage ». Ce roi, de la dynastie des Valois, protecteur des arts, redonne une grande partie de son prestige à la couronne.

Gisant : Figure en très fort relief représentant un défunt allongé. Le gisant placé sur un soubassement constitue la forme la plus fréquente des tombeaux du Moyen Âge, à partir du XIIIe siècle.

Panthéon : Bâtiment dédié durant l’Antiquité gréco-romaine à un ensemble de dieux, et par la suite à une famille régnante ou à un ensemble de citoyens particulièrement importants pour une nation.

Ronde-bosse : Sculpture en trois dimensions, travaillée sur toutes ses faces. Toute statue est une ronde-bosse.

Haut-relief : Type de relief dans lequel les figures se détachent fortement du fond, à la différence du bas-relief.