Portrait d'une femme noire, Madeleine Benoist Marie-Guilhelmine

Portrait d'une femme noire

Dimensions

H. : 81 cm ; L. : 65 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1800

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

En quoi ce tableau est-il unique ?

Peint et exposé au Salon de 1800, ce portrait image principale présente une femme noire, assise de trois-quarts, délicatement tournée vers le spectateur. Sa robe et son fichu de coton blanc servent d'écrin à sa peau foncée, et sa silhouette, empreinte de dignité, se détache sur un fond clair où l'on peut lire en bas à droite le nom de l'artiste, « Marie Guillemine Leroux de La Ville, épouse Benoist » (1768-1826). Les anciens titres du tableau – « Portrait d'une négresse », puis « Portrait d'une femme noire » - ne révélaient pas l'identité du modèle. Des recherches récentes ont permis de découvrir qu'elles s'appelait Madeleine et ont permis de rebaptiser le tableau.

Une femme peintre classique

Formée dans les ateliers d'Elisabeth Vigée Le Brun et de Jacques Louis David, Benoist fait partie de la génération de jeunes femmes qui accèdent à la carrière de peintre à la veille de la Révolution. Son œuvre reflète l'influence de ses maîtres. L'impression de naturel et la grâce émanant de son modèle rappellent les portraits de Vigée Le Brun image 3, tandis que le fond, neutre, le modelé vigoureux du corps et le jeu des contrastes entre la figure, les tissus et le fond sont l'héritage de David dont elle fut l'élève image 4.

En choisissant une telle pose et une telle composition, Benoist s'inscrit dans une tradition picturale bien établie. Dans les mêmes années, David réalise d'imposants portraits de femmes élégantes, cadrées sous les hanches, les bras nonchalamment posés sur les jambes, d'une grande sobriété image 4.

Le portrait d'une femme noire

Un tel tableau constitue à cette époque un cas presque unique : en effet il est alors exceptionnel de consacrer un portrait à une personne de couleur – même si quelques-uns ont existé en Angleterre. Les exemples de figures noires dans la peinture se rattachent à la volonté de figurer « l'ailleurs » image 1. L'antécédent constitué par le spectaculaire portrait du député Jean-Baptiste Belley par Anne-Louis Girodet en 1797 image 2 a dû frapper la peintre autant que le public de l'époque. Aucun de ces deux portraits n'a pu être commandé par les modèles, qui n'en avaient pas les moyens. On sait à présent que la jeune Madeleine était la domestique d'un couple de colons guadeloupéens ayant séjourné en métropole à la fin du XVIIIe siècle. C'est à cette occasion que Benoist a entrepris son tableau, de sa propre initiative ou à la leur demande. On ignore en tout cas les intentions de l'artiste qui n'a laissé aucune explication à ce sujet.

La singularité de ce portrait réside dans le fait que les conventions du portrait classique sont ici appliquées à une esclave récemment affranchie, : l'esclavage ayant été aboli en France en 1794. Le modèle est assis dans un fauteuil, un beau châle posé sur l'accoudoir et le dossier, à la manière des femmes blanches des classes supérieures. Benoist abolit ainsi les distinctions traditionnelles, tant sociétales que picturales.

Dans le même temps, plusieurs éléments viennent rappeler que cette jeune femme dont le visage est portraituré avec précision est et demeure une ancienne esclave des Antilles : le fichu noué sur sa tête, l'anneau d'or à son oreille, signes de servitude, le sein dénudé. La poitrine apparente n'existe pas dans les portraits féminins du XVIIIe siècle. Benoist n'aurait sans doute pas représenté une femme blanche de cette façon. Lointain écho des portraits célébrant des courtisanes à la Renaissance image 5, cet élément est plutôt à rapprocher de l'association fréquente à l'époque entre les Noirs et l'état de « nature ». Sur les gravures consacrées à la traite négrière, les esclaves figurent toujours dénudés, état dans lequel ils sont débarqués aux Antilles depuis l'Afrique.

Exotisme ou liberté

Citoyenne de son temps, Benoist est peut-être influencée par les gravures publiées dans les années 1790, présentant hommes et femmes noirs associés à la mention « moi égal à toi / moi libre aussi ». Ces images générées par les courants abolitionnistes les présentent anonymes, coiffés du fichu blanc devenu symbole de liberté. La devise ne figure pas dans le tableau, mais le regard que nous adresse cette jeune femme semble en être la traduction.

Femme, noire, créature offerte au regard comme un objet exotique, la jeune modèle évoque aussi les questions qui agitent la société de l'époque : liberté, égalité des sexes et des « races », fraternité. Quelques années plus tôt, la femme de lettres Olympe de Gouges, auteure de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » (1791) mettait en parallèle la condition des femmes et celles des esclaves et constatait que la Révolution n'avait pas totalement accompli son œuvre libératrice.

Stéphanie Elhouti-Cabanne

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/portrait-dune-femme-noire-madeleine

Publié le 04/02/2018

Ressources

Une étude historique consacrée à ce tableau sur le site L’Histoire par l’image

https://www.histoire-image.org/etudes/portrait-negresse

Une étude sur la première abolition de l’esclavage en 1794 sur le site L’Histoire par l’image

https://www.histoire-image.org/etudes/premiere-abolition-esclavage-1794

Une étude sur le cachet de la Société des amis des Noirs sur le site L’Histoire par l’image

https://www.histoire-image.org/etudes/cachet-societe-amis-noirs

Glossaire

Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.

Salon : Au XVIIIe siècle les expositions des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture se tenaient dans le Salon carré du Louvre. Le terme « Salon » désigne par la suite toutes les expositions régulières organisées par l’Académie.