Portrait de l'empereur Jahangir tenant dans ses mains celui de son père, l'empereur Akbar Hashim Abu al-Hasan

Portrait de l'empereur Jahangir tenant dans ses mains celui de son père, l'empereur Akbar

Dimensions

H. : 11,6 cm ; L. : 8,3 cm

Provenance

Lieu de création : Inde

Technique

Miniature

Matériaux

Encre, couleurs et or sur papier

Datation

1600-1615

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Quel événement politique sous-tend ce double portrait de souverains ?

Chef-d’œuvre de la peinture moghole exécuté vers 1614, cette miniature célèbre image principale image b s’inscrit dans un contexte historique très particulier et illustre fort bien la manière dont les artistes de l’atelier impérial servaient l’ambition politique de leur souverain.

Deux générations sur une peinture

L’empereur Jahângîr image principale apparaît à mi-corps derrière une balustrade recouverte d’une somptueuse étoffe. Richement vêtu, le souverain porte le turban et un double rang de perles en sautoir. Le visage de profil, suivant l’une des conventions du portrait moghol, il est nimbé d’or et tient entre ses mains un portrait de son père Akbar détail c. Ce dernier, disparu depuis près de dix ans lors de l’exécution de la peinture, est également figuré à mi-corps derrière une balustrade. Il se tient de trois quarts, le regard tourné vers son successeur. Lui aussi nimbé d’or, il est vêtu de blanc, couleur associée à l’âme en quête d’illumination dans la tradition mystique de l’Islam. Il semble offrir à son fils un globe vert sur lequel figure la mention « Portrait du vénérable qui est sur le trône céleste, peint par Nâdir az-Zamân ». L’œuvre porte deux autres inscriptions qui permettent de connaître le nom des deux artistes qui y travaillèrent : Abû’l Hasan et Hâshim, ainsi que le titre donné dès l’origine à la miniature détail d.

Deux maîtres de l’atelier impérial

Né vers 1588, Abû’l Hasan est le fils d’un célèbre peintre persan installé à la cour du prince Salim, futur Jahângîr, à Allahabad image 8. Il combine avec brio le naturalisme, le sens du modelé et de la perspective des gravures européennes, avec l’héritage iranisant qu’il tient de son père. Il a une production brillante et variée, mais s’affirme surtout comme maître incontesté du portrait allégorique. Séduit par sa virtuosité, Jahângîr lui confère, en 1618, le titre de Nâdir az-Zamân, « la Merveille de l’Époque ».

Abû’l Hasan collabore, pour le double portrait aujourd’hui conservé au Louvre, avec Hâshim, autre portraitiste célèbre de l’atelier impérial. Vraisemblablement originaire du sud de l’Inde, ce dernier est parfois qualifié d’Ingres indien. Observateur attentif des physionomies humaines, il en a une approche objective, plus soucieuse de perfection technique que d’émotion.

Technique de la miniature moghole

La plupart des miniatures mogholes sont exécutées sur papier. Le support était poli à l’aide d’une bille d’agate. Les contours essentiels sont dessinés à l’aide d’un pigment rouge avant la pose de l’apprêt. Encore visibles par transparence, ils sont ensuite repris et éventuellement modifiés en noir. On applique d’abord les couleurs sur les architectures et les éléments de paysage, puis sur les personnages en terminant par les visages. Les pigments utilisés sont d’origines végétale et minérale, combinés à un liant à base de gomme arabique. L’argent, aujourd’hui noirci par l’oxydation, est utilisé pour évoquer l’eau. Les pinceaux sont de taille et de composition très variables. L’œuvre terminée est à nouveau polie à la bille d’agate.

Portraits dynastiques et allégoriques

L’empereur Akbar image 1, passionné d’histoire et marqué par la peinture persane image 2 image 3, va favoriser l’épanouissement de l’art du portrait dans la miniature moghole dans les dernières décennies du XVIe siècle image 4 image 5. Le genre prend une dimension politique inédite à partir du règne de Jahângîr. Se font alors jour de véritables portraits dynastiques image 6 image 7, œuvres complexes à l’iconographie stéréotypée, visant à mettre en exergue l’autorité impériale et sa légitimité. Faisant appel aux multiples symboles du pouvoir – glaive, couronne, aigrette de turban... –, ces peintures réunissent parfois plusieurs générations de souverains dans des rencontres chronologiquement impossibles. Elles permettent ainsi à un monarque de passer par l’art pour réécrire l’histoire à son avantage.

Un double portrait très politique

Le double portrait du Louvre, exécuté vers 1614, s’inscrit dans un contexte politique très particulier. Impatient d’accéder au pouvoir, le prince Salim se révolte ouvertement contre son père Akbar en 1600 et se déclare souverain indépendant à Allahabad deux ans plus tard. Refusant toute tentative de conciliation, il fait assassiner Abû’l-Fazl, ministre avisé et ami fidèle de son père, porteur d’une offre de paix. Revenu à la raison en 1604, il obtient le pardon paternel et monte sur le trône à sa disparition en 1605 sous le nom de Jahângîr. L’iconographie subtile de cette miniature, qui montre Akbar offrant métaphoriquement l’Empire à son fils, est une parfaite illustration de la manière dont Jahângîr cherche à légitimer son pouvoir en faisant travailler les peintres au service de son projet politique.

Mots-clés

Glossaire

Dynastie moghole : Dynastie d’origine turco-mongole établie en Inde à partir de 1526, et empire que ces souverains contrôlèrent jusqu’en 1858. Après la fondation de l’Empire par Babur et les déboires de son fils Humayun, les plus grands souverains moghols furent Akbar (1542-1605) et ses successeurs immédiats : Jahângîr, Shah Jahan et Aurangzeb.

Gomme arabique : Sève durcie de l’acacia, ayant de multiples usages dans des domaines divers. Elle constitue un excellent liant pour les peintures à base d’eau, comme la gouache, qu’elle rend plus élastique, ou l’aquarelle, à laquelle elle donne un fini transparent et brillant.